Lettres des combattants
Frédéric Toulzat :Ce 11 novembre, cela fera 90 ans que l’armistice qui mit un terme à la Grande Guerre aura été signé.
Avec l’autorisation d’Éliette Pujol, qui en est la propriétaire, je vous propose de découvrir des extraits de lettres de combattants dieupentalais de cette guerre, écrites alors qu’ils étaient au front. J’espère qu’elles permettront à ceux qui auront la patience de les lire d’appréhender la vie de ces combattants et d’avoir une pensée pour eux.
Merci également à Bernard Pujol pour ses annotations et à mon épouse Sylvie pour la saisie de ces lettres.Celles-ci étaient adressées à Paul Gaubert, bourrelier, que son état de santé avait contraint à rester à Dieupentale où il décédera en 1917. Elles sont toutes de la main de Joseph « Noël » Toulouse, mort pour la France le 7 novembre 1916 quelques semaines avant son 22ème anniversaire, à l’exception de la première, écrite par Elie Mathieu Taillefer qui, fait prisonnier par les Allemands à Verdun le 9 avril 1916, survivra au conflit.
FRATERNISATION.
Le 29 décembre 1915.Bien cher copain,tu m’excuseras si je ne t’ai pas répondu plus tôt, car au moment où j’ai reçu ta lettre j’étais dans les tranchées en première ligne. Cette fois-ci encore les boches sont encore été assez tranquilles nous avons même fraternisé ensemble ils nous ont même fait passer du jus et des cigares et cigarettes. On montait sur les tranchées, on y restait même toute la journée les uns et les autres. On a même placé les barbelés ensemble en plein jour. Ils nous ont dit qu’ils en avaient assez eux aussi de la guerre. Il s’en est même rendu quelques-uns. Il me tarde toujours bien d’aller en permission.
LES TROUPES COLONIALES.
Le 10 février 1915:Mon cher copain.Je m’empresse à répondre à tes lettres que j’ai reçues ce soir et qui m’ont attristées à la lecture de ta maladie. (…) Par cette lettre mon cher Paul je vais te donner des renseignements plus précis que je n’ai. Avant de venir au repos nous étions sur la ligne de feu, et là quand tout était calme on se retirait au village le plus près pour se reposer, car je te dirais que les troupes dont je fais partie ne peuvent pas rester dans les tranchées, ils y mourraient de froid. Mais aussitôt que quelque chose chauffe : en avant, et à la baïonnette. J’ai assisté à deux charges à l’arme blanche, ce fût à Soupir et à Chacrise où on trouva des boches et des autrichiens. Ce fut effroyable il s’agissait de prendre les villages à n’importe quel prix. Malgré le nombre d’hommes qu’avait l’ennemi, il fut obligé à céder après deux contre-attaques, et cela en pleine nuit. Rappelle-toi, mon cher Paul que les troupes noires sont redoutées, aussi quand on est dans les tranchées, car on y va dans la nuit en rampant, et qu’au jour les boches aperçoivent les chéchias, ils ne sont pas tranquilles. Quand on commande baïonnette au canon, ils commencent à faire feu avec leurs fusils, grenades et mitrailleuses, mais nos nègres marchent quand même et quand on arrive à quelques mètres d’eux, ils quittent leur gourbi et s’en vont, mais quelques fois ils ont trop attendu et ils s’embrochent. Je voudrais que tu entendes, quels hurlements font ces braves nègres quand ils vont à la fourchette on dirait, trente foires départementales. Tu n’entends rien on marche comme des idiots voilà tout. Pour le moment nous sommes au repos. Le Général Joffre a donné un mois parce qu’on s’est bien battus, sur 3 mille qu’on est parti on est bien moins aussi on va se reformer en arrière. On attend beaucoup de renfort et alors ça pourrait réchauffer. Je vais terminer ma lettre en te souhaitant mes meilleurs vœux de rétablissement et de prompte guérison. (…)
LA PREMIÈRE LIGNE
Le 28 février 1915.Mon Cher Paul ainsi que toute la famille.Je viens de recevoir tes deux lettres à l’instant aussi je m’empresse à répondre tout de suite. Tu m’excuseras si je ne t’écris pas toutes les fois que je reçois de tes nouvelles, car on n’a pas toujours le temps. J’appelle ces moments avoir de l’ouvrage. Je m’efforce de te tenir le plus possible au courant de ce que je fais. Je t’ai déjà cité quelques durs travaux. Ça irait mal s’ils se renouvelaient trop souvent. En ce moment je suis en cantonnement d’alerte c’est-à-dire tout près du feu. Et si quelque chose chauffe, on va forcer la ligne des tranchées à la nuit pour attaquer dans l’obscurité. On sort des tranchées à quatre pattes jusqu’aux sentinelles boches. Là, si on peut on les zigouille sans qu’elles puissent appeler et ensuite on rentre dans les lignes boches avec une plus grande facilité. On y tombe dessus : en un mot on les surprend, et c’est alors que la pagaille se fait. Ils décampent, et nous nous occupons ces tranchées jusqu’à ce que les fantassins viennent nous relever pour aller au repos que j’appelle bien gagner. Quand les boches forcent une ligne, on nous y fait porter en cas de recul comme renfort. Cela fait que nous ne sommes jamais au même endroit. Etant au repos on galope tout le temps. Je te prie de croire qu’on fait des kilomètres et alors chargés. On porte 31 paquets de cartouches, ainsi que les vivres de réserve, et beaucoup d’autre fourbi. Mais lorsque ça commence à chauffer, on balance tout le fourbi et alors on peut y aller. Encore les nuits sont froides, mais il faut espérer que sous peu il fera beau et alors on pourra coucher à la belle étoile, on n’aura pas froid. A présent, je commence à être plus sur : toutes ces choses t’endurcissent la vie, on s’y fait beaucoup. Tu me dis qu’on fait une quête pour le 75, on pourrait en faire une pour la fourchette, elle serait vite coiffée crois le. Je termine en t’embrassant bien fort ainsi qu’à ton frère et tes parents.
LES CANONS.
Le 12 mars 1915.Mon cher camarade.Tu m’excuseras du retard que j’ai fait pour t’écrire plus longuement que mes précédentes cartes. Ici on n’a pas toujours le temps tu peux te le figurer. Je suis en bonne santé et j’espère que toi ainsi que toute la famille êtes de même. Je ne puis te donner que des bonnes nouvelles, nous progressons tous les jours. On ne pardonne plus aux prisonniers, on zigouille tout, nos bicots ne se laissent pas intimider par leurs cris de camarades camarades ! Ces sales boches sont de vrais crétins, voilà tout. Je vais te dire que lorsqu’on prend des tranchées on trouve les mitrailleurs attachés dans la tranchée, c’est les officiers qui les attachent ainsi pour qu’ils se défendent jusqu’au dernier moment, à présent juge de leur bravoure. En face de nous, nous avons la garde prussienne, des gaillards tels que le « piqueur » grands mais très maigres. Nous marchons avec les taboris marocains et les zouaves. Mon pauvre Paul, je voudrais que tu vois combien il y a de canons sur le front. Chaque intervalle de caisson tu as un canon et cela sur tout le front. Je te réponds que lorsque le 75 a repéré une de leurs tranchées et bien dans 5 minutes il n’y a plus un boche, c’est terrible aussi quand nous prenons des tranchées elles sont pleines de cadavres, le 75 bouleverse tout et ce n’est pas un canon qui tire c’est quelques fois tous, il n’y a pas une paille qui ne soit remuée par nos obus. (…) En ce moment, j’ai mon frère à 6 kms même je ne peux pas le voir. Je termine en t’embrassant ainsi que tes parents. Ton dévoué Noël.
BLESSE SUR LE CHAMP DE BATAILLE.
Le 24 mars 1915.Bien chers amis.Un peu remis de mes troubles, je viens causer un petit moment avec vous et en même temps vous raconter les péripéties de mes combats. Comme vous devez sûrement le savoir par l’intermédiaire de mes parents, mais malgré cela je vais vous raconter en ces quelques mots comment j’ai été blessé sûrement cela vous intéressera un peu. Je vais commencer mon récit. C’était le 15 mars environ 9 heures du soir que les boches commençaient à nous bombarder. Nous sommes restés sous ce bombardement de 9 heures jusqu’au lendemain 4 heures de l’après-midi inutile de vous dire qu’il me tardait beaucoup de me sortir de dessous cette pluie d’obus car la place devenait intenable. Voilà qu’au moment où toutes ces idées traversaient mon cerveau j’entends une voix venant de sur notre droite criant « baïonnette au canon ». J’ai compris tout de suite ce qui nous restait à faire. Deux minutes après, le clairon sonne la charge et nous voilà partis en avant tous en chœur avec nos braves bicots au démarrage de ces sales boches et grace à notre entrain les boches se sont sauvés et quand nous sommes arrivés dans les tranchées plus personne sauf beaucoup de morts que le 75 avait réduits en miettes. Mais on ne devait pas s’arrêter là on laisse la tranchée vide pour aller dans celle où s’étaient réfugiés les quelques survivants de la première et là il fallut y faire une passe mais lorsqu’ils se virent débordés tous levaient la crosse en l’air et criaient kamarad mais ce mot était trop connu rien n’y fit et tous passèrent à la fourchette. Malgré que nous ayons prises ces deux tranchées il fallut encore en prendre deux autres mais à celles ci la résistance fut plus grande. Mais malgré cela ils furent contraints comme les autres à les évacuer au plus vite, car sûrement ils auraient subi le même sort que leurs kamarad. Nous étions rendus maîtres trop vite de ces tranchées et nos braves artilleurs n’étaient pas avertis assez vite eux aussi nous tiraient dessus et nous pour éviter de grandes pertes nous dûmes les évacuer de nouveau, mais cela ne dura pas longtemps et il fallut y revenir de nouveau. Et c’est à la 3ème fois que je fus blessé par un boche qui me criait Kamarad. Touché de compassion je le laissai tranquille. Profitant de mon indulgence il abattit son fusil et fit feu mais j’ai eu le sang froid de me parer le coup et la balle passa par coté et au même moment sans plus de pitié pour lui je ne fis qu’abattre ma baïonnette dans son ventre et mon boche creva. Et c’est en voulant le piquer davantage que j’ai été blessé par sa baïonnette tombant à terre. Etant hors de combat je regagnais notre poste de secours avec tout un fournissant d’officiers boches qui consistait en un casque, un sabre, des jumelles, une carte d’état-major, un bidon lorsqu’au détour de la tranchée je fis rencontre de 4 boches qui me mirent en joue et inutile de dire que je fis demi tour abandonnant sur place tout mon bazar pour me sauver au plus vite. Voilà que m’étant sorti de ce piège une grosse marmite vient à tomber à mes cotés et me fis voltiger au moins à 5 ou 6 mètres. Dans ce fameux raid, j’ai perdu aussi ma cravate et mon gilet et ma veste. Je l’ai retrouvée dans une autre tranchée et inutile de vous dire que je ne suis pas amateur de ce genre de sport où le vertige m’aurait bien vite pris. Enfin, malgré tous mes malheurs je commence à aller beaucoup mieux grâce aux soins dévoués des charmantes sœurs qui nous soignent, car je vous assure qu’elles sont pour nous tous qui sommes là une deuxième mère. (…)
Votre ami dévoué pour la vie.Toulouse Noël.
LA VIE A L’ARRIERE
Aix-en-Provence, le 15 août 1915.Mon Cher Camarade. Je te remercie beaucoup de tes bonnes lettres qui m’apprennent toujours des nouvelles. Je vois que tu as eu une bonne sortie, mais ce qui est joli que tu n’as pas déboursé pour voir ce spectacle. Tu sais ce sont des gens qui ne peuvent rester calmes, il faut qu’ils se fassent toujours remarqués. Aujourd’hui dimanche je suis comme les autres jours aux mêmes fonctions, aussi j’avais promis d’aller voir la sœur et ma foi, il faut que j’attende à demain. Hier, nous avons eu un renfort d’Algérie qui est arrivé, ils partent le 16 au demain. Ici tout est comme auparavant. Je t’écris d’une fenêtre où je vois passer beaucoup de gens et principalement des putains qui vont se faire payer un dîner par quelques bicots, mais alors un dîner sur l’herbe et je te garantis qu’ils portent de quoi bouffer. Ils vont du coté de la montagne Sainte Victoire ou au barrage. Je te garantis que ces gonzesses savent tirer ces pauvres tirailleurs au fin il en passe des escouades, et toujours plus. Je suspends la lettre pour dîner bien comme il faut. (…)
J’ai bien diné et je peux te renseigner plus courageusement. Je dîne toujours à mon poste, même on vient me le porter. Aujourd’hui, (…) j’ai eu le potage, le foie et une grosse cuisse de lapin, avec de la sauce excellente, puis une omelette aux tomates, de la saucisse, un litre de pinard et enfin le café. (…)
TESTAMENT.
Le 13 janvier 1916.Bien Cher Paul.Je t’écris de sur mon pieux couveuse artificielle de poux. Après avoir terminé mon boulot de tous les jours. Je viens de faire la vaisselle et ne t’étonne pas de trouver quelques partielles taches de graisse sur mon bref journal. Excuse-moi de ne pas t’écrire plus souvent, car je t’assure qu’en ce moment j’ai du travail aussi je me couche le plus tôt possible. Tous les jours j’ai des copains qui viennent me voir me traitant de peinard et bien ils se trompent, car il faut boulonner. Depuis quelques soirs ils viennent des camarades des tranchées et je les fais culotter avant de remonter là haut. Tu me dis si nous fraternisons avec les boches comme certains et bien je te promets que non ! Au contraire, car tu sais avec nos nègres il n’y a rien à faire, et ils ne se laissent pas tromper par ces salots de boches. (…) Quand j’aurais un long moment, je te raconterai un peu le résultat de la veillée du jour du nouvel an et tu verras comment le pinard fait des hommes des animaux ou viande à canon.Écris-moi souvent. Rien plus à te dire si ce n’est que le mois prochain nous sommes désignés « division d’attaque » et c’est là que je vais décrocher la croix de guerre, la croix rouge ou la croix de bois.Je t’embrasse bien fort.Ton ami Noël.
C’est la croix de bois qui attendait Noël Toulouse.Le 9ème régiment de marche de tirailleurs algériens dont il fait partie est transporté sur la Somme à partir du 14 octobre et participe à la bataille de la Somme du 17 octobre au 9 novembre 1916, dans le secteur de Chaulnes (Somme). Le régiment sera cité à l’ordre du 15ème corps d’armée pour les combats du 21 octobre (attaque des bois de Chaulnes) et du 7 novembre 1916 (attaque de Pressoire et du bois de Kratz).Joseph « Noël » Toulouse meurt le 7 novembre 1916 à 10h30 devant Chaulnes, des suites de blessures provoquées par des éclats d’obus . Il avait 21 ans.Cité à l’ordre de la 75ème brigade du 19 novembre 1916 : « Du 21 au 26 octobre 1916, a assuré le ravitaillement en vivres de sa section, malgré les tirs d’artillerie très violents. Tombé glorieusement. Au front du début, s’est toujours signalé par son calme et son sang-froid. »
Merci à Frédéric et Sylvie Toulzat, Bernard et Éliette Pujol.Pour la publication et la mise en page de ces lettres émouvantes, de nos valeureux combattants dieupentalais, très belle façon de leur rendre hommage pour ce 90e anniversaire de la Grande Guerre.
Bonjour je m’y vois lorsque j’habitais à la gare à la ferme Mr Bennaben